critiques PompierS 2016-2018

Théâtrorama

PompierS - Théâtre du Balcon« PompierS – La programmation du Festival OFF d’Avignon sert souvent de reflet sociétal dessinant en filigrane les préoccupations voilées et les sujets d’actualité trop présents. Les pièces qui se démarquent du peloton empruntent des sentiers qui sortent du consensus moral pour entrainer le public en eaux troubles. PompierS fait partie de ces brûlots qui laissent délicieusement mal à l’aise pour ouvrir l’espace de réflexion.
Jean-Benoît Patricot s’est appuyé sur un fait divers sordide pour les fondements de son histoire. Un pompier peu scrupuleux abuse des faiblesses d’une jeune fille pour assouvir ses désirs. Il finit par la transformer en objet sexuel qu’il partage volontiers avec ses camarades. Le petit fait tristement vrai va ancrer la pièce dans une réalité parallèle où l’auteur et le metteur en scène, Serge Barbuscia, vont décortiquer cette matière brute pour en retirer la substantifique moelle.

PompierS Théâtre du BalconRencontre improbable dans une salle impersonnelle d’un tribunal avant l’audience. Aucun nom prononcé comme un anonymat préservé. Elle, la jeune fille un peu simplette, qui s’est amourachée de son pompier flamboyant, auréolé de prestige dans son bel uniforme et son joli camion. Lui, un soldat du feu dévoué à la population qui avait besoin de se détendre un soir de bal dans les bras de la première venue consentante. Le décalage  est courant. Une histoire de désir repoussé toujours plus loin jusqu’aux limites de l’acceptable. Responsable, mais pas coupable. Ils ne parlent pas le même langage. D’ailleurs, la jeune femme ne prononçait pas un mot. Et qui ne dit mot, consent, c’est bien connu. C’est bien convenu. Les mots, elle ne les avait pas. Elle les a appris. Et après une rétention verbale prolongée, elle se libère sans sursis pour raconter sa version à elle…

– Tu m’as donné du plaisir
–  Tu m’as donnée… C’est tout

PompierS - Théâtre du BalconPompierS n’est pas construit comme un récit linéaire. La pièce fait encore moins le procès des protagonistes. Il n’est pas question de juger selon des critères normatifs, mais d’affleurer à fleur de peau le ressenti des personnages. La mise en scène devient une mise à nu progressive, comme des couches psychologiques que l’on découvre pour atteindre le noyau central. Le plateau dépouillé libère l’espace, en contraste avec des dialogues de plus en pesants. La pièce repose sur l’interprétation des deux comédiens. Fragile équilibre pour ne pas basculer dans la caricature facile du jeu du bourreau et de la victime. Et le duo fonctionne comme deux corps en contrepoids suspendus au-dessus du vide.
Camille Carraz incarne avec justesse cette jeune femme déficiente, perdue dans ses repères, dans cette machine judiciaire qui la dépasse. Frêle hirondelle engluée dans sa détresse et touchante d’innocence enfantine. Face à elle, un maître de précision qui donne un sens à chaque virgule et un souffle nouveau au silence. William Mesguich, que l’on a plus l’habitude de retrouver dans les pièces classiques du répertoire et qui s’illustre d’ailleurs en virtuose des mots dans Mémoires d’un fou de Flaubert au Théâtre du Girasole, sort de son registre habituel pour composer un rôle à l’ambiguïté troublante. Complexité d’un personnage à la fois prédateur sans ampleur dans une banalité du mal dont il n’a pas véritablement conscience et homme apeuré prêt à s’en remettre corps et âme à celle qui réclame justice et à négocier comme un gamin qui croit pouvoir échapper à la sentence avec des promesses. Carnassier dans les coups qu’il porte en réplique, il apparait désarmé face à la logique irrationnelle d’une partenaire qu’il n’a jamais finalement autant découvert que dans ce tête-à-tête émotionnel.

Le manichéisme ne mène jamais la danse dans ce huis clos irréel et hors du temps. La victime s’arme de mots nouveaux dont elle manie de mieux en mieux l’utilité pour se défendre. Elle attaque son bourreau accablé, non pas de remords, mais de doutes quant à sa situation future. Ses tentatives de manipulations pour faire fléchir le témoignage de celle qui est considérée par tous comme « retardée », ne trouvent pas de prise. Et si les répliques sont sans douceur, pour ne pas dire rustres, la jeune femme endure, digère et régurgite sans haine. Elle qui ne cherche qu’à donner de l’amour. Le dénouement ne viendra pas d’une sentence attendue, mais d’un électrochoc verbal de celle qui a compris qu’un « non » la sortait de son état de poupée de chiffon et était bien plus puissant qu’une décision de justice. »

 Plus de off

« L’histoire est sordide. Une jeune femme, avec laquelle le sort fut déjà plus que contraire lorsqu’elle avait 6 ans, précipitée d’un haut plongeoir par un groupe de garçonnets, ce qui la fit basculer à l’état de simplette, tombe amoureuse d’un pompier. L’uniforme et le camion rouge lui font tourner la tête. Convaincue d’être aimée en retour, elle s’offre sans mesure à un homme qui voit là l’opportunité de repousser encore et encore la limite de ses fantasmes sans qu’un non le réfrène. Il la jette même en pâture dans la caserne. L’affaire fuite. Une assistante sociale et une psychologue montent un dossier, en vue d’un procès, sur la base des mots simples, enfantins, de la jeune femme, qui pour bien se souvenir découpe son histoire, avec cet homme, en 21 chapitres, auxquels elle donne des titres. Tandis que le procès est sur le point de s’ouvrir, l’homme est mis par mégarde dans la même salle qu’elle…
Rôle sur mesure pour William Mesguich, où cependant la puissance de son jeu semble parfois à l’étroit. L’acteur injecte à son personnage un noir intense et surabondant. Quel homme effrayant, insinuant, captieux saisit-il ici ! Camille Carraz est magnifique dans un rôle éprouvant, avec la partition difficile d’une femme se battant contre son prédateur avec les armes d’une enfant. Le texte de Jean Benoit Patricot est dur, les mots sont crus, les détails glauques, mais la direction d’acteurs a de la délicatesse, de la mesure. Subtils dosages, qui font de la pièce une réussite. »
Walter Géhin, Plusdeoff.com
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 Web Theatre

« On est noué, percuté, bouleversé. La pièce de Jean Benoît Patricot met devant nous ce que nous ne voulons pas regarder, sans provocation, sans violence, sans discours moral : l’histoire d’une femme que son partenaire considère comme un pur objet sexuel et a partagée avec ses collègues de travail. Mais la situation n’est pas détaillée de façon aussi simple, la pièce n’aime pas les idées simples sous son langage clair. Ce n’est pas un document, pas un dossier, mais l’évocation sensible, approfondie, prolongée d’une relation d’amour qui était sincère d’un côté et mensongère de l’autre. La femme a l’air d’une gamine, elle est appelé la « Fille », mais elle a 30 ans. Elle n’a pas un psychisme de prof de fac, elle est ce qu’on appelle simplette quand on ne veut pas trop s’interroger sur le psychisme d’une personne restée dans l’enfance – l’auteur, lui, dit qu’elle est « limitée ». L’Homme est sapeur pompier. Il a dit à la femme qu’il l’aimait et a pris avec elle tous les plaisirs dont il rêvait, jusqu’au jour où il a trouvé confraternel de confier le corps de son amie à ses camarades. Certains d’entre eux n’ont pas pas refusé l’aubaine mais la victime s’est confiée à d’autres femmes qui ont révélé ce crime qui s’apparente à celui de la « tournante »… La pièce commence quand la Fille et l’Homme se retrouvent peu de temps avant que l’affaire ne passe devant la justice. Il fait pression sur elle car il a appris ce qu’il risque. Il voudrait qu’elle déclare qu’elle n’a pas été obligée de faire ce qui a été fait, qu’elle était partie prenante dans cette violence sexuelle. Elle ne répond pas vraiment. Elle s’accroche à une obsession qui a la forme d’une interrogation : ce qu’ils ont vécu tous les deux, c’était bien de l’amour ? Il répond que oui et veut la convaincre de mentir au juge. La pièce s’arrête avant que le procès ait lieu et que soit connu le jugement.
Le texte de Patricot est sacrément audacieux. Serge Barbuscia, qui le met en scène, fait également preuve d’audace en le créant, car cette mise à nu de ce que la société préfère cacher ne peut plaire à tout le monde. Elle peut créer des malaises chez certains spectateurs. Barbuscia place les deux personnages dans un quadrilatère où ils vont, viennent, s’arrêtent, se retrouvant d’un jour à l’autre. Les mots tournent en rond, et ils sont assez semblables. Elle veut croire à l’amour, il veut croire à sa survie. Barbuscia a finement dirigé les acteurs dans le registre de la mezza voce et d’une fausse tranquillité, terrible tant elle est ouatée. Pas de cri, juste une quête désespérée de mots qui apaiseraient l’un et l’autre. Camille Carraz, dans le rôle de la Fille, incarne une femme-enfant dans une interprétation qui nous hantera longtemps, tant elle est à fleur de cœur, à travers un jeu à la douce et délicate vibration. Elle incarne une victime aimante, ce qui est d’une extrême difficulté, et accède là à un niveau d’interprétation exceptionnel. William Mesguich est le pompier, le bourreau à la voix tendre. Loin du style lyrique qui est habituellement le sien, il est également parfait grâce à une sobriété étonnante : il compose un homme qui se replie, se cache, place son salut dans une tendresse de dernière minute, calculée ou réelle, trouvant cette ambiguïté avec laquelle Patricot est si limpide. Il y a comme un écho du théâtre de Duras dans la circulation du dialogue et des personnages, mais pour exprimer exactement le contraire. Duras chante l’amour. Patricot dit le mensonge de l’amour, s’aventure en d’autres terrains secrets. Rarement une œuvre et un spectacle en demi-teintes obstinées nous atteint avec une telle force ! »
Gilles Costaz
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Revues Spectacle

« Une fausse histoire d’amour.
Il en existe tant, des tromperies, des abus… quand on cherche l’amour on ne trouve parfois que l’emballage d’une relation juste bonne à finir dans une poubelle.
Mais quand l’héroïne est ce qu’on appelle limitée, quand elle a du mal à discerner le bien du mal, le possible de l’impossible, quand elle est amoureuse et ne sait pas dire non. Si en face d’elle se trouve ce qu’on appelle vulgairement un salopard et que celui-ci est dans un costume de pompier, héros par principe, sauveur des corps comme des âmes… alors… c’est le fracas qui arrive suivi d’un procès car la jeune fille a des appuis, des aides qui arrivent. Opposition de deux récits celui enregistré sur un carnet de la jeune fille et celui du garçon qui a peur d’être condamné et qui veut infléchir le récit… qui va gagner ???
Elle a du mal à comprendre, il sait le poids des mots. Serge Barbuscia propose un dispositif scénique très pur qui ne fait pas diversion : quatre bancs dans une salle d’attente d’un tribunal où ils sont là tous les deux, elle qui veut réparation absolument et lui qui cherche la fuite ; qui veut transformer juste quelques mots et situations pour s’en sortir.
C’est la sobriété qui a été choisie, pour donner au texte toute sa place et toute sa valeur.
Un jeu très sobre magistralement interprété par William Mesguich et Camille Carraz. Ils sont tous deux criants de vérité, d’exactitude, à en devenir dérangeants.
Une très belle pièce sur un sujet difficile. »
Jean-Michel Gautier
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Le bruit du off

« Il n’y a pas d’histoire d’amour, cette histoire-là ça ne peut pas marcher », aurait dit Lacan pour qui l’amour « c’est de donner ce qu’on n’a pas à quelqu’un qui n’en veut pas »… Et que n’a-t-elle pas, « Elle » (jouée superbement par Camille Carraz), cette jeune fille éperdument fragile que l’ingénuité désigne tout « naturellement » comme proie du désir des hommes qui ne voient en elle que l’objet sexuel susceptible de soulager les accès de leur testostérone ? Ce qui lui manque à elle, ce qu’elle ne peut donner, c’est l’amour dont on l’a privé ; enfant abandonnée et moquée par les adultes qui la trouvaient « limitée ». Et pourtant elle voudrait tellement l’offrir cet amour qui lui a fait dès son origine si cruellement défaut ; elle voudrait tant se réparer en réhabilitant dans sa vie actuelle la petite fille rejetée qu’elle a été.
Alors, lorsqu’un soir de bal, elle rencontre un beau pompier (incarné par un William Mesguich au visage angélique et au charme incandescent), elle s’enflamme instantanément comme une allumette qu’on craque contre une matière abrasive, et, prestige de l’uniforme attisant si besoin était encore plus son désir d’amour, elle va tomber dans ses bras en se donnant à lui sans réserve aucune. Le problème étant que ce dernier, s’il apprécie en connaisseur ses charmes, n’avait aucune autre intention que celui de satisfaire ses besoins « purement » physiologiques. Et, qui plus est, comme il est bon camarade, il l’a offerte en partage à ses potes pompiers.
Retour sur images… C’est dans ce « parloir » qui précède la salle d’audience où l’affaire va être jugée que Lui et Elle se retrouvent dans un huis clos sans échappatoire possible. Là débute l’affrontement où chacun d’eux va exprimer ce qu’il est.
Lui proteste avec une sincérité brutale et une mauvaise foi mêlées. Il n’en a jamais voulu de son amour, ce qui l’intéressait c’était le plaisir des rapports physiques, point barre ! Quant au « viol » collectif, elle était consentante, la preuve elle n’a jamais dit non !… Elle doit dire impérativement cela au juge !… La peur l’envahit, la culpabilité qui le gagne lui fait « découvrir » l’horreur de ses actes.
Elle lui dit avec une candeur touchante que les mots pour dire non lui ont tout simplement manqué, tant le trou d’amour de son enfance est comme une béance à jamais présente. Ce sont les mots de la psy qui recouvrent maintenant les siens et étayent la vérité qu’est la sienne. C’est fou comme la parole libérée peut dénouer les nœuds d’une histoire plombante. Ce qu’elle désire toujours c’est l’amour de cet homme, mais auparavant…
Lui dira : « Tu m’as donné du plaisir ». Elle dira : « Tu m’as donnée… C’est tout. ». La sobre mise en scène de Serge Barbuscia donne libre place au jeu aguerri des deux acteurs qui, entre caresses violentes et rejets en douceur, expriment les tourments du désir amoureux contenu dans les plis du texte écrit par Jean-Benoît Patricot. Combat sans fin mais non sans issue…
Yves Kafka
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Journal Zibeline

« Si une seule fois tu avais dit non, on en serait pas là ! ». Toute la pièce de Jean-Benoît Patricot réside sur ce « non » qu’une jeune femme abusée n’a jamais (su) prononcé. « Limitée » et désirable -les deux ne sont pas incompatibles-, elle ne savait pas qu’elle pouvait ne pas vouloir : « On ne dit pas non quand on aime ». On suit, un peu étranglés, le huis clos de ce procès dérangeant, au verdict indigne, d’une victime « consentante » qui, grisée par l’uniforme des gentils et par ce « roi du monde » qui la « torture de plaisir » -jusqu’à la « distribuer » en objet sexuel à ses collègues de caserne-, accepte l’inacceptable. Encore fallait-il comprendre l’interdit… Serge Barbuscia met en scène ce récit brûlant tiré d’un sordide fait divers, en se reposant exclusivement sur le talent de ses interprètes, Camille Carraz et William Mesguich, tous deux d’une justesse parfaite, chacun construisant les failles et les ambiguïtés d’une humanité paumée. Chacun révélant son monstre. Glaçant et troublant.
Delphine Michelangeli
Juillet 2016
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