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Théâtre

Tessa Volkine sublime le formidable Old up de Patricot

Je n’ai qu’une vie – Des émotions à partager

Chroniques de pièces de théâtre

Old Up – La Reine Blanche

18 janvier 2024Guillaume d’AZEMAR de FABREGUES

Old Up à La Reine Blanche : Tessa Volkine, épatante. Une plongée ultra réaliste dans l’univers des EHPAD où résidents et personnel sont écrasés entre intérêt des financiers et grincements des familles, où persiste un fil d’humanité. Où on ne peut vouloir aller.

Sur la scène, un rectangle de lino, une chaise en plastique blanc cassé. Annie Primevère arrive. Quatorze résidents en quatre heures…

C’est le matin, Petit déjeuner, toilette, changer. Vêtements et protections. Une activité physique, une palette de caractères. De la teigne à la bonne volonté. Vous êtes nouvelle ? Oui, c’est ma première semaine. Vous allez rester ? Je vais essayer. Le même dialogue se répète dans toutes les chambres. Annie est Aide Médico Psychologique à l’EHPAD des Trois Fontaines à Bourbelon.

A travers l’histoire d’Annie, le texte de Jean-Benoît Patricot est une plongée dans l’univers des EHPAD.Une plongée au cœur du business des vieux. D’un côté, les conglomérats financiers, optimisation, profits. De l’autre, les familles, grinçantes et rares. Écrasés entre les deux, les vieux, pardon, les résidents, et le personnel. Sans oublier la novlangue, qui pastellise les choses. Créer une zone de sécurité, c’est mieux que fermer à clé la porte de la chambre ? La dissociation ? C’est considérer d’un côté la personne, de l’autre son corps.

Jean-Benoît Patricot a écrit un texte ultra réaliste. L’histoire d’Annie, comment elle s’occupe de son père, se retrouve aux Trois Fontaines, après une formation AMP (dix mois). Comment elle essaye de maintenir une couche d’humanité, la dissociation, c’est pas son truc. Comment elle s’attache. Son rythme de travail, la pression, le peu de considération. Les odeurs. Sa solitude. Le désespoir qui ne l’envahit jamais complètement. Comment elle tient. Les liens qui peuvent se créer, si intimes et si superficiels, qui ne survivent pas au décès. Comment elle sera licenciée. Comment, au moment du confinement, elle se retrouvera essentielle.

Jean-Benoît Patricot a écrit un texte politique. Il ne dénonce pas, il décrit. Un monde impitoyable. Il faut cacher les vieux, éviter que l’argent ne file pour des gens qui ne servent plus à rien. Et surtout que ça ne se voit pas. Il raconte l’humanité des personnes qui subsiste malgré l’écrasement, il décrit un système. Il projette une lumière crue sur un système dont on a conscience sans vouloir le voir, l’allongement de la durée de la vie crée une dépendance qu’on ne veut pas voir, s’en occuper est devenu un business comme les autres.

Sur scène, Tessa Volkine, épatante. Habitée par le projet, par le personnage d’Annie. Elle est Annie, elle est tous les vieux dont Annie s’occupe tous les jours. On la voit petit à petit écrasée, on sent le feu de la vie qui toujours brûle au fond d’elle. Mise en scène par Catherine Schaub, un beau travail de direction d’actrice qui souligne le texte avec efficacité et simplicité.

Vous sortirez pétrifiés. Glacés et touchés. Glacés par la description chirurgicale de l’univers des EHPAD, touchés par l’humanité qui persiste. Votre Je n’ai pas envie d’y aller se sera transformé en Je ne veux pas y aller. Mais du coup, comment on fait ?

 

Théâtre : « Old up », de Jean-Benoît Patricot à La Reine blanche, à Paris.

Pierre François /18 janvier 24

Opération vérité.
« Old up » est une pièce à voir par toutes les personnes voulant entendre un discours de vérité sur les établissements hospitaliers pour personnes âgées dépendantes. La volonté de la troupe était de « donner la parole à ceux qui ne l’ont pas » et elle s’en est donnée les moyens, en pratiquant une immersion pendant un an dans un de ces Ehpad.
Il en ressort un texte fondé sur des observations tous azimuts, dont une des qualités est de montrer, outre la souffrance des résidents, celle des soignants contraints à des gestes « dissociés ». Quant aux familles, ce sont les grandes absentes de ce tableau, et pour cause !
Sur scène, une « aide médico-psychologique » – autrement dit à peine plus qu’une fille de salle – raconte un parcours professionnel un peu chaotique, mais qui n’a pas entamé son humanité. C’est en arrivant dans le contexte du soin rémunéré au service des personnes plus vieilles que cette dernière dimension va être mise à l’épreuve.
Tous les aspects de la vie collective entre personnes diminuées sont traités. Même le hiatus entre la maltraitance imaginée par les familles et celle vécue sur place ou la perte de sens allant jusqu’à la demande de mort sont abordés avec réalisme et nuance. Humour aussi, car, et c’est là la grande qualité de cette pièce, elle parvient à faire rire à partir de situations tellement tristes qu’elles en deviennent grotesques.
Le talent de la comédienne associé à la réalité du texte font que l’on croit immédiatement aux personnages. Aux, parce qu’elle interprète ses interlocuteurs avec tant de vérité que l’on croit les voir. À aucun moment le spectateur, y compris professionnel, ne décroche. C’est simple, le stylo est resté en l’air pendant presque toute la représentation.
Pierre FRANÇOIS

[Théâtre] Dans l’intimité d’une aide

médico-psychologique en Ehpad

Une pièce jouée à Paris nous met dans la peau d’une aide médico-psychologique

(AMP) travaillant dans un Ehpad. Elle y raconte le quotidien difficile, les cadences de

travail, le dénuement de beaucoup de résidents… mais aussi des moments de joie et

une humanité qui perce dans les petites choses de la vie.

Sur scène, une chaise et une comédienne. Pendant 1 h 15, la pièce Old Up raconte à la

première personne le quotidien d’Annie Primevère, aide médico-psychologique, la

cinquantaine, dans l’Ehpad des Trois Fontaines à Bourlebon. Avant d’épouser ce métier, nous

dit-on, Annie avait travaillé dans le tourisme (sans jamais voyager) puis dans un garage. Quand

son père est tombé gravement malade, elle a tout arrêté pour s’en occuper. Alors, les vieux,

elle pensait bien les connaître avant d’embrasser cette fonction. Mais ce n’est pas si simple…

16 minutes par résident

La pièce commence par le travail du matin où il faut lever, faire la toilette des résidents.

« Quatorze résidents en quatre heures, seize minutes maxi pour chaque ». Voilà l’objectif à

respecter. Bien sûr, cela ne se passe pas comme prévu.

D’abord, il y a Madame Ménard qui « veut dormir pour toujours » et profère des insultes. Y’a

aussi Madame Tessier qui en voulant se lever toute seule s’est écroulée par terre. Il va falloir la

relever mais elle « pèse un âne mort ». Et toutes les autres : Madame Volver qu’il faut doucher

parce que sa fille vient ; Madame Gelser qui veut dormir encore cinq minutes ; sans

oublier Madame Dumontier, déjà toute préparée « pour vous avancer, mon petit », mais qui a

saigné cette nuit. Risque d’hémorragie ? Il faut appeler Sophie, l’infirmière.

Finalement, les soins démarrés à 7 h 10 vont se terminer à 11 h 30 car à cette heure, il faut

amener les résidents en salle à manger. Mais Annie devra encore faire les lits…

Blouse d’aide-soignante

Pour arriver à un récit plus vrai que nature, l’auteur Jean-Benoît Patricot, habitué aux

problématiques sociales, a travaillé avec un théâtre francilien sur une création autour de la

thématique « Donner la parole à ceux qui ne l’ont pas ». Mais il a réalisé un gros travail de

documentation avant d’écrire son texte.

« Pendant un an, dans l’Ehpad des Chênes d’Or, au Chesnay (Yvelines), explique Jean-Benoît

Patricot, nous avons mené un travail d’enquête, d’immersion, d’observation et d’interviews. Tessa

Volkine, la comédienne, a enfilé une blouse d’aide-soignante et a accompagné les soignants. Pour

ma part, je me glissais dans les chambres, quand les résidents étaient d’accord, pour observer ce

qui s’y passait. »

Arrivée du Covid

Ce travail a été réalisé juste avant le Covid, et la crise sanitaire a modifié tous les calendriers.

D’ailleurs, la pièce a été complétée avec une chute un peu acide inspirée de cette période

exceptionnelle. La metteuse en scène Catherine Schaub s’est emparée ensuite du texte pour

produire un dispositif très simple, voire dépouillé. La seule « fantaisie » étant le défilé de

photos, prises dans cet Ehpad par Dominique Vichot, où les résidents expriment toutes les

palettes de l’émotion.

« Nous sommes votre futur »

« À travers ce spectacle, je veux montrer la beauté quand on nous fait croire que la vieillesse n’est

que laideur et tragédie, et je veux raconter, témoigner du quotidien de ces soignants dont la

fonction est capitale dans notre société », explique Catherine Schaub. Et la metteuse en scène

de citer une phrase entendue chez un monsieur âgé de 91 ans : « Regardez-nous, nous sommes

votre futur. »

Surmenage des soignants, perte de sens du travail, faible reconnaissance sociale, abandon de

nombreux vieux dont certains veulent mourir (et parfois y arrivent)… tout est abordé dans cette

pièce. Les mots sont parfois crus quand on parle des odeurs très pénétrantes et de la violence

qui menace d’éclater à tout moment.

Humour et poésie

La question des relations, parfois épineuses, avec les familles est également posée. Annie note

que leurs demandes sont parfois contraires aux souhaits de leurs parents. « Quand les familles

arrivent, il faut que le vieux soit tout propre et repassé, tout le monde s’en fiche de savoir ce que

ça a créé comme douleur [pour les habiller] »

On ne saurait oublier la performance de l’actrice Tessa Volkine, qui interprète avec nuance

l’arc-en-ciel des émotions. Sans conteste, Old Up réussit à mettre en perspective toutes les

attentes, souvent contradictoires, qu’on place dans les Ehpad. Sans rien imposer, le texte

suggère qu’il faudra repenser ces lieux où on concentre les êtres les plus vulnérables de notre

société. Jamais sentencieuse, cette pièce accoste avec bonheur les rives de l’humour, voire de

la poésie.